À LA DÉCOUVERTE DE LA SAPE AIRWAYS

Jean-Marie Monsengwo, dit Moké fils est né en 1968 à Kinshasa en République démocratique du Congo. Il est fils de Monsengwo Kejwamfi, dit Moké (1950 – 2001) peintre reconnu dans son pays pour avoir développé avec d’autres tels que Chéri Samba ou Chéri Chérin une peinture populaire de la vie congolaise.

Moké fils s’inscrit totalement dans cet héritage, sa peinture utilisant des couleurs vives et brillantes, dégagée des recherches académiques de proportion… l’idée est de rendre l’esprit du lieu, d’une société avec ses joies et ses travers.

Il est ainsi devenu le chef de file des « kinoiseries » ce qui rime avec tracasseries, jovialité et débordements populaires de la vie à Kinshasa.

Le tout s’accompagne d’une acuité qui n’hésite pas à dénoncer les travers politiques et sociaux de l’Afrique et de ses rapports avec l’occident.

Saper Airways, 2019, technique mixte sur toile, 170 x 130 cm. Photo L’atelier Nicolas Démoulin

Ici la thématique est beaucoup plus légère et joyeuse. Cinq compères survolent un large fleuve séparant deux villes reliées par un pont. Ils sont installés dans un avion stylisé d’une compagnie aérienne nommée « La Sape Airways ». Les personnages sont hyper stylés, habillés de manière élégante et colorée, souriants et détendus, appréciant manifestement le vol. L’avion tient autant de la chaussure que du sac à main, avec ses ailes en forme de lanières à boucles. On y reconnait le peintre avec son costume à rayures, son pinceau à la main et ses chaussures noires monogrammées MF sur le côté pour Moké fils.

Mais qu’est-ce que la SAPE ?

Acronyme pour Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes, c’est un mouvement culturel réunissant les deux Congo. Il se manifeste par un certain dandysme en référence aux codes vestimentaires et aux manières des anciens colons tout en le réinterprétant par un gout pour les accessoires luxueux, la couleur et une obsession du paraitre. 

Le mouvement serait parti dès le début du 20ème siècle par la volonté de domestiques d’européens d’imiter le style vestimentaire de leurs patrons afin de mieux s’intégrer. Rapportant celui-ci au pays pour y affirmer une certaine réussite sociale, il prendra par la suite un aspect politique, notamment d’opposition au pouvoir de Mobutu (de 1965 à 1997) en RDC qui avait imposé à la jeunesse le port de l’uniforme, l’abacost (« à bas le costume » qui promeut un tissu congolais, sans col et sans cravate, signes de soumission à la culture coloniale), jusqu’en 1991. Les sapeurs sont alors vus comme des agitateurs, des voyous, des « parisiens ».

Ici l’avion de nos « sapeurs » survole un grand fleuve séparant deux grandes villes. Il s’agit sans aucun doute du fleuve Congo puisque celui-ci sépare les deux capitales les plus rapprochées au monde, Brazzaville (République du Congo) et Kinshasa (République Démocratique du Congo) distantes de 4km !

Sur la gauche du tableau, Kinshasa avec la très reconnaissable tour de l’échangeur de Limete construite en béton armée entre 1970 et 1974 et haute de 210 mètres.

Sur la droite Brazzaville avec la tour de bureaux Nabemba, la plus haute tour de la république du Congo inaugurée en 1990 avec ses 106 mètres.

Sur le fleuve, les bateaux navettes qui relient les deux capitales au quotidien, mais également un pont vide…. qui n’existe pas encore ! En effet ce très vieux projet, émis dès la période coloniale a souvent avorté par opposition de l’un ou l’autre des deux pays. Six cents millions de dollars, réunis par la Banque Africaine de Développement et sa plateforme de financement pour les infrastructures (Africa 50), devraient permettre à partir d’aout 2020 d’ériger un ouvrage route-rail de 2 km en aval des deux métropoles, et à réaliser enfin un vieux rêve : connecter 12 millions de Kinois à 2 millions de Brazzavillois.

En attendant, l’avion de la « Sape Airways » survole les Congo encore séparés pour diffuser dans le monde la cool attitude de la Sapologie…

Alexia Volot